Les événements climatiques extrêmes, relayés en France de façon exponentielle depuis 2019, ont des répercussions sur la santé mentale, par-delà l’éco-anxiété qu’elles provoquent. De plus en plus d’études scientifiques rendent compte de du phénomène et par-delà, de cette inquiétude. Comme nous allons le voir, il y aurait 2,5 millions de français qui souffrent d’éco-anxiété, à un point tel qu’ils devraient consulter un psychothérapeute.
Première alerte sur les 16-25 ans en septembre 2021
Une alerte d’envergure a été lancé l’année dernière par des scientifiques anglo-saxons (Hickman & al., 2021). Leur étude, publiée dans The Lancet, quantifie le phénomène tels que perçu par les jeunes : sur 10 000 sujets de dix pays âgés de 16 à 25 ans, 59% indiquent être “très” ou “extrêmement” inquiets par les effets du changement climatique. Plus encore, 56% d’entre eux pensent que l’humanité est condamnée. 45% estiment que leurs sentiments en rapport avec le climat ont exercé une influence négative sur leur vie quotidienne et alimentent leur éco-anxiété.
Même si ce sont des scientifiques qui ont mené cette étude, c’est plus l’impact du mot « éco-anxiété » que les maux dont souffrent les éco-anxieux qui a été sondé. Il manquait une instrumentation de mesure psychotechnique ad hoc pour prendre la température des éco-anxieux, décrire leurs symptômes, toutes classes d’âge confondues, et mesurer véritablement l’état d’éco-anxiété – et pas autre chose.
Une échelle mesurant spécifiquement l’éco-anxiété : l’Echelle d’éco-anxiété de Hogg
Récemment, la recherche a fait grandement avancer la connaissance du concept d’éco-anxiété : d’une part en proposant une définition transculturelle, d’autre part en la cernant comme un état mental et psychique mesurable. Une structure transverse de ce concept semble exister ainsi que l’ont montré l’équipe de chercheurs australo-néozélandais pilotée par Hogg. Ils ont proposé fin 2021 une définition consensuelle de l’éco-anxiété et une échelle de mesure cernant les caractéristiques des populations approchées (classe d’âge, niveau d’étude…). Selon ces chercheurs, l’éco-anxiété est un état psychologique de “détresse mentale et émotionnelle qu’un individu peut ressentir en réponse à la menace du changement climatique et aux problèmes environnementaux mondiaux”.
Soucieux de faire l’état des lieux du phénomène et d’équiper les praticiens d’un outil de diagnostic, l’OBVECO a composé fin 2021 une équipe mixte de chercheurs et de praticiens (Sutter, Fenouillet, Steffan, Michot et Martin-Krumm, 2022) pour transposer l’échelle d’éco-anxiété de Hogg (EEAH) dans l’univers culturel francophone. Après avoir posé le design de recherche, ils ont lancé fin février 2022 puis en avril 2022 deux études successives et enfin ont soumis deux articles à des revues à comité de lecture scientifique.
Grace à la première étude, ils ont confirmé la robustesse et le caractère multifactoriel du construit sur un premier échantillon de 445 personnes : les symptômes affectifs, la rumination, les symptômes comportementaux et l’anxiété́ ressentie quant à l’impact de ses propres actions seraient les quatre facettes de l’éco-anxiété. Ces différentes facettes sont en relation avec le stress, l’anxiété́ ou la dépression et négativement corrélées avec la satisfaction de vie.
2,5 millions d’éco-anxieux en France en état de devoir consulter un psychothérapeute
Ils ont ensuite administré l’EEAH à une population générale de 1600 répondants et à un échantillon de 27 éco-anxieux suivant une psychothérapie, sollicitée spontanément auprès d’un psychologue-psychothérapeute expert en éco-anxiété. Enfin, l’étude a été étendue à un échantillon total de 3500 répondants. Un premier chiffrage a pu être établi pour la première fois en France sur le nombre d’éco-anxieux en fonction de l’intensité de leur éco-anxiété. Il y aurait en France 2,5 millions d’éco-anxieux en état de devoir consulter un psychothérapeute. Pour en savoir plus lire la synthèse de notre étude.
Pour arriver à un tel chiffrage, les chercheurs ont demandé aux éco-anxieux de passer l’EEAH soit au moment de leur première séance de psychothérapie (série 1) soit ultérieurement (série 2). La moyenne du score de la série 1 se situe à 72,5/100 (95° percentile), celle de la série 2 se situe à 53,5/10 (90° percentile) tandis que celle de la population générale est à 32/100. En extrapolant ces résultats sur ceux de la population générale, 5% d’adultes de 18 ans et plus ont leur score qui se situe à un niveau identique ou plus élevé que celui de la série 1 des patients éco-anxieux, au tout début de leur psychothérapie.
L’éco-anxiété : pas une maladie, mais peut rendre malade si elle perdure et s’intensifie
L’éco-anxiété n’est pas une maladie mais un mal-être qui s’il perdure peut rendre malade, en menaçant la santé mentale. Hogg et al. ont en effet montré que l’éco-anxiété se différencie de psychopathologies bien connues (comme le trouble anxieux généralisé) tout en lui ressemblant sur certaines de ses manifestations (anxiété, ruminations).
Loin d’être une lubie irrationnelle, l’éco-anxiété est une réaction rationnelle de prise de conscience face à l’ampleur objective de la crise écologique et du manque de ressources pour gérer cette crise (personne, même un État, ne peut empêcher la banquise de fondre), d’où ses manifestations anxieuses. L’éco-anxiété est un concept à part entière qu’on ne doit ni négliger ni dénigrer, l’ampleur du nombre de personnes concernées devrait en faire une question de santé publique de premier ordre.
Par ailleurs, les entreprises, responsables pour 66% des problèmes environnementaux, ne devraient pas sous-estimer l’impact de leurs externalités négatives et de leur éventuel « greewashing » sur l’éco-anxiété de leurs collaborateurs qui pourrait peser sur leur engagement. Le mouvement « Pour un réveil écologique » attestent que de plus en plus de Français, y compris ceux qui composent l’élite des diplômés, sont de moins en moins attirés par un job dans ces entreprises.
Prendre en charge l’éco-anxiété en s’appuyant sur la recherche…
Ces études montrent que la prise en charge de l’éco-anxiété est possible et qu’on peut en mesurer les effets positifs sur la santé mentale. Un suivi psychothérapeutique ad hoc, en capacité de diagnostiquer et de traiter les dimensions de l’éco-anxiété, diminue l’intensité de cette dernière. Au bout de 16 séances en moyenne, le score des éco-anxieux décroît en moyenne de près de 20 points, passant de 72,5/100 à 53,5/100 ; l’amélioration des patients est telle que leur mal-être s’étant atténué, certains arrêtent leur psychothérapie.
Ces résultats sont prometteurs pour aider les éco-anxieux à dépasser leur éco-anxiété. Mais cela suppose un suivi particulier qui nécessite un protocole adapté à leur mal-être, construit empiriquement à partir du vécu des patients. Des études en cours et à venir viendront préciser ou approfondir ces premiers résultats, notamment l’effet de l’éco-anxiété sur le fonctionnement optimal en société.
On voit tout l’intérêt que représente la mise à disposition d’une tel outil de diagnostic tant pour les personnels de soin que pour les entreprises. Diagnostiquer l’éco-anxiété avec un outil de mesure valide offre de prévenir le mal-être des particuliers comme des salariés.
Pierre-Eric Sutter & Loïc Steffan
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