En préparant notre ouvrage  « N’ayez pas peur du collapse » aux éditions Desclée de Brouwer (préfacé par Pablo Servigne), nous avons mené de nombreux entretiens auprès de collapsonautes confirmés. A la relecture des entretiens, les propos de ces personnes sensibles à la collapsologie font apparaître des thèmes récurrents dans les trajectoires de vie. Certains cumulent l’ensemble des catégories quand d’autres sont très marqués uniquement par l’une d’elle. Ce qui nous a particulièrement frappé (et nous en rendons compte dans cet article), c’est l’angoisse de finitude qui les fédère de façon franche et massive. Plus encore, ce qui nous a surpris, c’est que cette peur de la mort les mobilise, au lieu de les immobiliser. Ce constat justifie le titre de ce post. Mais énumérons d’abord quels sont les thèmes récurrents dans ces trajectoires de vie qui tutoient ainsi la peur de la mort avec la mort de la peur.

  1. Une culture scientifique assez robuste

Les premiers collapsologues étaient des chercheurs. Ils avaient la capacité de lire de la littérature scientifique, d’en comprendre les conclusions et de la vulgariser pour que le plus grand nombre s’en empare. La diffusion des travaux sur les effondrements potentiels se sont d’abord organisés autour de think tanks comme l’Institut Momentum ou le Shift Projet. Les auteurs les plus cités (Yves Cochet, Pablo Servigne, Raphaël Stevens, Gauthier Chapelle, Jean-Marc Jancovici, Gaël Giraud) émanent de ces organisations. Les groupes de vulgarisation scientifique comme Adrastia ou Transition 2030 font la part belle aux contenus scientifiques. Pour le grand public, l’entrée dans la collapsologie demande un investissement cognitif important. Pourtant ce sont les catégories des moins diplômés qui adhèrent le plus. Nous allons y revenir plus bas.

  1. Une sensibilité à la nature

Les parcours de vie montrent aussi, au préalable, un lien avec la nature ou avec les activités agricoles, soit directement, soit par le milieu familial. Nous avons constaté de fait, dans la première enquête d’octobre 2018, que l’écologie était le premier item cité à la question suivante « Avant de découvrir la collapsologie vos préoccupation étaient surtout : ». Ensuite, les personnes interrogées parlent du climat, de la destruction des écosystèmes ou de la sixième extinction de masse. Sur cette question les considérations politiques ou sociales arrivent bien après. Dans les propos, les collapsonautes évoquent tout autant le constat observable de la dégradation de la nature que les études sur ces questions. On peut penser que la solastalgie, inventée en 2003 par le philosophe australien de l’environnement Glenn Albrecht, est vécue intensément par les tenants de la collapsologie du fait qu’ils font le lien entre ce qu’ils lisent dans les études scientifiques et constatent dans la nature.

  1. un engagement militant ou une vision politique du monde

Nous avons aussi constaté que le militantisme était aussi un élément déclencheur de l’intérêt pour ces questions. Il semblerait qu’une « carrière militante » prédispose à avoir une lecture de l’évolution du monde et une vision prospective de la société. Celle-ci est pensée avec des antagonismes entre visions concurrentes (libéralisme, socialisme, municipalisme, etc.) mais cette appétence pour la chose publique permet aussi de repérer plus tôt les évolutions et les signaux faibles.  L’étude de la fondation Jaurès éclaire d’un jour nouveau ces éléments. En France, la moyenne de 65% de gens qui pensent que l’effondrement de nos sociétés est possible masque des disparités importantes puisque 76% des Insoumis, 74% des sympathisants du Rassemblement national (RN) mais également 71% de ceux de Les Républicains (LR) s’accordent sur la thèse d’un effondrement de la civilisation, tout comme 61% des sympathisants socialistes. Dans ce climat décliniste, les sympathisants La République en marche (LREM) se démarquent en affichant un degré d’optimisme plus élevé : seuls 39% d’entre eux diagnostiquent un effondrement de notre civilisation. Si le sondage dégage une moyenne de 65 % de Français d’accord avec la théorie de l’effondrement, la proportion de ceux qui pensent que la civilisation va s’effondrer progresse à mesure que le niveau de vie diminue : 50 % des membres des catégories aisées adhèrent à la théorie, 61 % parmi les membres des classes moyennes supérieures, 64 % parmi ceux des classes moyennes inférieures, et le pourcentage culmine à 75 % parmi les catégories modestes, avant de légèrement redescendre chez les Français les plus pauvres de la typologie de l’étude de la fondation Jaurès et de l’IFOP(64 % adhérent à cette thèse). Sur le plan éducatif, c’est parmi les sans diplôme (73 %) que l’adhésion est la plus forte. C’est assez paradoxal, car il faut un fort investissement intellectuel pour comprendre la mécanique systémique à l’oeuvre dans les scénarios en cours.

  1. Une rencontre antérieure avec la mort ou le burn-out

Dans les récits de vie que nous avons recueillis, le burn-out, les accidents personnels graves ou les problèmes de santé arrivent au fil des histoires des individus qui se sont mis en chemin. Nous n’avons pas pour l’heure d’éléments explicatifs qui permettraient de comprendre en quoi ces épisodes ont déclenché une sensibilité accrue à l’hypothèse collapsologique et à sa narration, hormis les intuitions recueillies au chevet du patient : angoisse de finitude (mort symbolique) et d’incomplétude (difficultés à s’accomplir au travail). Nous émettons l’hypothèse que ces épisodes ont réduit la résistance à l’information collapsologique. Le déni est moins possible, car l’effondrement est une expérience qui a été déjà vécue peu ou prou et le fait qu’il puisse concerner la société dans son ensemble est probablement moins rejeté, comme une sorte d’insensibilisation identique à celle d’un vaccin. On pourrait d’ailleurs faire le lien avec les personnes dont la situation économique se dégrade ou est fortement dégradée qui son les plus nombreux à adhérer aux hypothèses de la narration collapsologique. Il semblerait que cette forme de condition de vie dégradée puisse être interprétée comme une forme d’effondrement personnel.

  1. Un discours marqué par le recours aux références artistiques, philosophiques, spirituelles ou religieuses.
    Lors des entretiens, il n’est pas rare que les interviewés utilisent des termes religieux ou spirituels. Les références à Patcha-Mama, à Gaïa ou même à Spinoza ou à d’autres éléments appartenant à cet univers intellectuel sont couramment convoqués. Nous avons d’ailleurs été marqués par le fait que près de la moitié des personnes qui connaissent la collapsologie affirme développer une pratique religieuse ou philosophique nouvelle. Comme si la recherche de sens et la métanoïa (prise de conscience) demandait de faire ce travail de recherche philosophique, pour ne pas refermer la fenêtre de « l’éveil » qui vient de s’ouvrir. Nous avons déjà évoqué dans un autre article que la collapsologie ne fonctionnait pas comme une croyances en la fin du monde classique (voir l’article). Il y a peut-être des orthopraxies qui se développent (ne plus manger d’animaux pour être en phase avec ses nouvelles croyances par exemple) mais il n’y a pas de salvation post mortem pour ceux qui auraient un comportement adapté, comme les fidèles des religions qui promettent un paradis. Il faudrait approfondir par des entretiens cet aspect des choses pour comprendre le lien entre spiritualité et collapsologie.  Nous avons aussi découvert les créatifs culturels, les artistes avaient une sensibilité particulière à ces problématique. Il reste encore à renseigner la manière dont ils appréhendent l’information et le relation au sensible pour comprendre leur présence importante dans les publics de la narration collapsologique.

De la réflexion à l’action

Lors de la construction du livre, nous avons essayé par des entretiens choisis d’évoquer les domaines d’actions privilégiés par les collapsonautes. Là encore, 5 points ressortent régulièrement.

1 l’autonomie

Le premier domaine est celui de la réappropriation personnelle de gestes et de comportements qui permettent d’avoir prise sur le réel. On peut juger ces éco-gestes insuffisants mais ils semblent correspondre à la volonté de se mettre en chemin et de reprendre le contrôle de sa vie. On constate une volonté de réduire ses déchets, de limiter son empreinte carbone en modifiant ses modes de transports. On observe la volonté de réfléchir à tous les aspects de sa vie pour qu’elle soit le plus sobre possible. On va alors trouver du “do it yourself“ ou d’autres initiative comme les “repair’café“.

2 l’alimentation et l’approvisionnement

Le deuxième domaine très fréquemment cité est la mise en place d’un jardin, souvent en permaculture. Cette production autonome est souvent couplée à la volonté de participer à des AMAP, à la mise en place de réseau de distribution ou de groupement d’achat. L’exemple des « Épi » qui est la contraction d’épicerie participative est à ce titre intéressant. L’Épi désigne un commerce de proximité participatif où les adhérents maîtrisent leur consommation dans tous ses aspects. Ils essaient de consommer essentiellement des produits locaux et de saison pour permettre de maîtriser l’impact de leur consommation.

3 la monnaie

L’autre élément qui revient régulièrement est la réflexion sur les échanges marchands, les systèmes d’échanges locaux et bien entendu les monnaies locales. Ces monnaies locales, qu’elles soient fondantes  (c’est à dire qu’elles perdent une partie de leur valeur au fil du temps pour inciter les gens à ne pas thésauriser en mettant cette monnaie en réserve. Cela permet de faire circuler plus vite la monnaie et dynamiser l’économie locale) ou non sont une affirmation militante que la monnaie doit être au service de l’économie locale et qu’elle doit faire sens sur un territoire. L’exemple le plus abouti que nous avons évoqué est celui de l’Eusko. Le volume d’échange est beaucoup plus important que celui de la plupart des initiatives locales (50 millions contre quelques milliers d’Euros pour les autres initiatives en France).

4 la participation démocratique

Les collapsonautes que nous avons interrogé sont très intéressés par les listes citoyennes, les initiatives locales et tout ce qui leur paraît susceptible d’infléchir le cours de l’action publique. L’action associative ou militante est très valorisée.

5 l’action dans l’entreprise et le monde socio-économique

Enfin le dernier axe d’investissement est celui du monde économique ; La participation à des SCIC, à des SCOP ou des entreprises de l’économie sociale et solidaire est très développée. On trouve aussi des cadres qui essaient de sensibiliser leurs entreprises par le prisme de la RSE. L’idée est de faire système de développer une économie au service de l’homme, loin de l’économie de marché qui semble par trop désincarnée.

Conclusion

« Seule l’action nous délivre de la mort » écrivait St-Exupéry. Contrairement à l’idée reçue, l’angoisse de finitude est un moteur pour l’action. La peur des fins dont on parle ici touchent bien sûr la fin de l’existence individuelle mais aussi la fin de ce monde. Mais nous ne sommes pas dans une perspective apocalyptique de fin du monde car les collapsonautes parlent d’autres fins plus concrètes : la fin des ressources, la fin de la biodiversité, la fin du système consumériste ou la fin de la paix. Ils montrent par leurs représentations qu’ils anticipent concrètement un après-collapse douloureux si rien ne change dès maintenant. Mais ils pensent que ce collapse douloureux n’est pas inéluctable. Loin de les rendre pessimistes et passifs, après un passage à vide causé par l’angoisse de finitude, la narration collapsologique les a rendus optimistes et actifs du fait que par leur action concrète et organisée ils montrent qu’il est possible d’envisager une vie après le collapse plutôt qu’une apocalypse où seule la mort serait au rendez-vous.

Loïc Steffan  et Pierre-Eric Sutter

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