L’éco-anxiété est un concept qui se diffuse sans pour autant être toujours clairement explicité. Pierre-Eric Sutter a fait un point bienvenu sur le site. Il rappelle la distinction entre éco-anxiété et solastalgie que nous avions déjà opéré à l’obvéco et donne quelques pistes pour expliquer la manière dont on peut accompagner des personnes.

Aujourd’hui, il manque de données en France pour quantifier cette éco-anxiété et de praticiens pour accompagner les éco-anxieux.  C’est une question cruciale de santé publique car si les personnes ne parviennent pas à surmonter par des stratégies de coping les craintes face à l’urgence climatique elle risque de sombrer dans la dépression. Or l’accuité des problèmes climatiques, de pollution et de ressources risque d’augmenter la population qui présentent ce types de troubles qui sont des réponses normales de l’esprit à un mode de fonctionnement « anormal » de nos sociétés qui ne tiennent pas encore assez compte de cette urgence.

Résumons brièvement. Les personnes peuvent mettre en place des pensées pessimistes vis-à-vis du futur. Face à l’immensité des défis climatiques et de ressources se sentir impuissant et ruminer cette impuissance. Ressentir fortement les dissonances et vivre un conflit entre les valeurs consuméristes et la nouvelle vision du monde  (Weltanschauung) qui découle de la conversion du regard (métanoïa) plus ou moins rapide et violente. Ces éléments peuvent conduire a une tentation d’isolement radical dans l’entre-soi militant. On peut dès lors développer des angoisses de responsabilité, des angoisses de sens, des angoisses de finitudes et de peur de mourir et des angoisses de solitude, d’incomplétude tant on juge son action personnelle insuffisante et de finalement une angoisse d’authenticité.

Nous avons profité de la publication d’une publication sur l’éco-anxiété par un leader d’opinion pour analyser les commentaires. Cette publication a été likée plus de 42 000 fois et il y a eu plus de 1000 commentaires qui représentent plus de 50 pages de verbatim.

La question était très simple :
« L’éco anxiété atteint des niveaux records chez les jeunes. Et toi ? ⬇️ »

Nous avons tenu a rendre anonymes les commentaires et la publication d’origine.  Après avoir récupéré tout le texte, nous avons supprimé toute donnée pouvant rattacher le propos à une personne.

Nous avons trouvé 28 185 occurrences pour 2981 formes actives sur 1000 commentaires et 49 pages de commentaires.
Le discours des protagonistes de la discussion est très explicite. Nous avons procédé à un traitement sur Iramuteq.

La première angoisse projetée concerne les enfants. On le voit très clairement sur le nuage de mot. Le mot enfant est associé à la peur, au monde et l’avenir.

Voici deux exemples représentatifs de ce que disent les commentateurs : « J’ai très peur pour l’avenir de nos enfants et de notre planète écologiquement et humainement parlant »

« Je dors mal, j’angoisse. On le sait qu’il va avoir lieu ce changement climatique. Mais je ne m’attendais pas si vite. Pas d’enfants pour moi non plus »

« Mon fils de 6 ans est très réaliste à ce sujet. Ca me fait peur mais la réalité est ce qu’elle est ».
La peur aussi  est très présente.

 

Lorsqu’on essaie de regarder plus en détail, l’articulation des discours, on constate 4 grands thèmes dans un discours structuré.

D’une part, un première classe de propos, insiste sur nos comportements. (classe 4)
– « le nombre de personnes de tout âge manquant cruellement d’éducation et qui polluent à outrance sans aucun remord, ca me déprime ».
– « il y a de quoi être terrorisé malheureusement. La réalité est toujours pire que les prédictions et les effets de seuils vont nous amener à un environnement climatique hostile sans parler de la pollution de l’eau et de l’air ».

En lisant ces propos, nous reconnaissons très clairement les éléments introductifs c’est-à-dire, le conflit entre les valeurs consuméristes et la nouvelle vision du monde  (Weltanschauung) qui découle de la conversion du regard (métanoïa).

Les trois autres classes de propos sont liées entre elles. On reconnaît aisément, l’angoisse de finitude, la difficulté de projection dans un avenir désirable tant les catastrophes semblent être présentes dans les propos.

Une première classe  (classe 2) insiste sur la conséquence de nos comportements. Elle tourne autour des catastrophes. Dès lors on comprend la peur pour les enfants et le futur (classe 1)

– « j’ai une véritable angoisse concernant l’avenir. J’en fais des cauchemars, catastrophes naturelles et apocalypse. J’ai tellement peur pour mes deux enfants. »
– « J’ai toujours l’impression que mes efforts sont fait en vain quand je vois l’étendue des dégâts. Chaque jour une nouvelle catastrophe. »

La classe 3 qui est la dernière partie du discours du verbatim s’articule autour de l’idée de changement et d’espoir.

– « Comment leur rendre un peu d’espoir et avancer dans la vie. C’est une vraie question »
« notre génération agit beaucoup plus  et il faut garder espoir et ne pas baisser les bras. Chaque petits pas fait de grand chemins »
-« j’ai espoir que nos actions aient dans une certaine mesure du  poids »
-« La lucidité c’est de faire des choses simples pour changer le monde. »
– « personnellement, je suis devenue végétarienne, et je fais attention à mon mode de vie mais j’ai l’impression que c’est inutile face aux politiques qui ne lèvent pas le petit doigt »

L’articulation du propos permet de bien repérer les classes et leur articulations

 

la classe 1 en violet est constituée des « problèmes qui nous avons à résoudre. » Ces éléments constituent des « catastrophes » et qui « menacent nos existences » et celles de « nos enfants »  (classes rouges et vertes qui sont mêlées) selon les protagonistes de cette discussion. Cela change nécessairement pas des « changements d’habitudes ». (classe bleue)  qui se présente en opposition assez nette avec les problèmes.

Pour finir nous avons procédé à une analyse de similitude.

 

La construction du propos est très claire. Les personnes qui participent sont très au fait des questions climatiques et de pollution et construisent leur propos à partir de données scientifiques. Les protagonistes de la discussion ressentent une véritable angoisse vis-à-vis des problèmes climatiques et de pollution. Cela impacte leur vision du monde et leur capacité à se projeter dans l’avenir. On constate une prise de conscience et un cheminement qui oscille entre la peur et le changement pour infléchir la trajectoire. Le fait de garder espoir semble très lointain et la distance du concept d’éco-anxiété montre que c’est un mot qui parle « de l’extérieur » d’une angoisse vécue fortement de l’intérieur.

Dans ce verbatim toutes les angoisses sont présentes.
Angoisse de responsabilité, angoisse d’incomplétude,  angoisse d’authencité et finalement angoisse de finitude et noétique.

Le propos sur les risques climatiques est très clair et informé.
Dès lors, nous constatons qu’il y a 3 urgences

  • proposer des solutions de prise en compte des problèmes pour qu’une espérance raisonnable soit possible pour toute cette population.
  • Permettre au plus grand nombre de trouver des stratégies de coping pour faire face à ces problèmes avant que ces angoisses deviennent difficilement gérables par les principaux intéressés. Cela passe par la mise en place d’accompagnements correctement construits
  •  Former des praticiens cliniciens qui sachent traiter ces manifestations psychopathologiques (anxiété ou dépression réactionnelle).

Le dernier rapport du groupe 1 du GIEC est sans ambiguïté possible. La question climatique est de plus en plus préoccupante à court terme. Dès lors on peut penser que le nombre de personnes qui correspondent à cette réalité va augmenter. Peut-être au point de devenir un problème de santé publique.

Il conviendrait aussi de disposer d’une échelle psychométrique qui permette de discriminer la population et pour savoir si les personnes parviennent à « gérer ces problèmes » ou si elles relèvent d’un accompagnement au « coping » (techniques pour faire face à un stress) de manière préventive ou d’un accompagnement « curatif » car la problématique est trop aigue pour elles.

C’est ce que nous avons commencé à faire avec Dylan Michot et Pierre-Eric Sutter.

Loïc STEFFAN

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