Avant d’étudier en détail les croyances en la fin du monde, il convient de revenir un peu en arrière et d’étudier plus largement les croyances pour voir leur rapport à la collapsologie.

Le rôle de l’imaginaire et des croyances

La collapsologie (dans la charge symbolique qu’elle possède) possède cette propriété de dévoiler le fait que nous sommes potentiellement prisonnier d’une narration liée à la croissance, à un rapport à la nature qui doit être questionné sérieusement. Elle nous demande d’étudier la possibilité « le roi est nu ». Il faut pouvoir dire et comprendre que nous  sommes aujourd’hui collectivement démunis face aux crises qui viennent. Nous n’avons pas les outils de résiliences nécessaires pour affronter les chocs.

Mais pourquoi cette situation ? Pourquoi le roi est-il nu ?   Nous avons tous entendu durant notre enfance le conte d’Andersen « des habits neufs de l’empereur ». Le roi est fou de vêtements et en change sans arrêt. Il est toujours à la recherche de nouveauté. Un peu comme nous avec nos gadgets technologiques d’ailleurs. Deux escrocs on l’idée de proposer au roi un vêtement « invisible » à ceux qui n’auraient pas la  compétence nécessaire ou l’intelligence pour occuper leur place dans le royaume. Nulle étoffe sur le métier, nul habit fabriqué.  Lorsque le roi demande à son  intendant et à son tailleur de juger la qualité du nouvel habit, ils se taisent de peur d’être déjugés et reconnus incompétents. Or le roi fait confiance à leur jugement. Il croit donc enfiler des habits neufs. Tout le royaume se tait devant la supercherie de peur d’être déchu et reconnu inapte. Tous les adultes sont pris au piège des convenances sociales et de leur appartenance au groupe. Ils ont trop à perdre. Il est impensable que le roi ait pu se faire duper. Il faut avoir l’innocence de l’enfance pour oser dire que « le roi est nu ». C’est pourtant la réalité. Le peuple accepte alors de dire que le roi est nu.

Ce petit conte nous donne deux enseignements. Il faut l’innocence de l’enfant pour voir sans préjugés la réalité. Le deuxième enseignement de ce petit conte nous amène à réfléchir sur le statut de celui qui peut dénoncer la situation. Il est probable que toute autre personne autre qu’un enfant aurait eu du mal à être entendu. Est-il un opposant au roi ? Quel intérêt a-t-il pour dénoncer la situation ? Que propose-t-il à la place ?

Les sciences humaines nous disent que la perception suppose une implication subjective débarrassée des préjugés. L’expérience de la perception est avant tout une prise de position du sujet qui se « force » à voir les choses telles qu’elles sont. Il faut donc un certain courage ou une dose d’inconscience pour dire que les valeurs dominantes de la société nous conduisent potentiellement à des difficultés croissantes même si elles ont permis pendant deux siècles de formidables progrès sociaux et matériels pour une part toujours croissante de l’humanité.

Il est important de comprendre que nos imaginaires et nos croyances façonnent notre rapport au monde. Si je pense que le progrès a toujours permis à l’homme de trouver des solutions à ses problèmes, je vais avoir confiance en l’avenir. Je vais même énumérer tous les cas de figure où l’homme a réussi à se sortir de situations compromises. Vis-à-vis de la collapsologie, je suis comme les sujets du roi qui savent bien que quelque chose ne va pas mais qui pensent qu’il est préférable de ne rien dire pour ne pas tout perdre. Qui sont donc ces individus, qui comme l’enfant du conte, vont pouvoir nous montrer l’absurdité de la situation ? C’est une vaste question. Les sciences sociales nous indiquent que les rapports sociaux sont institués dans les sociétés et intégrés dans les esprits (sous forme de représentations sociales, de normes et d’interdits). Les mots, ainsi posés sur les choses permettent de définir notre environnement. Et les mots que l’on pose sur les choses ne sont pas neutres. Comme nous le disent Godelier ou Castoriadis, le langage et l’imagination ont une fonction symbolique par le fait qu’ils permettent de donner une signification à chaque chose. L’imaginaire devient vite le « réel » pour beaucoup au sein d’une société. Il est le monde comme on le pense. Il fonctionne comme les croyances. Elles sont une fonction nécessaire pour l’individu. Et la collapsologie (dans la charge symbolique qu’elle possède) possède cette propriété de dévoiler le fait que nous sommes potentiellement prisonnier d’une narration liée à la croissance, à un rapport à la nature qui doit être questionné sérieusement. Au passage, la question n’est pas de savoir si les gens ont besoin de croire mais d’accepter l’idée que chacun à des raisons de croire ce qu’il croit. Une grande partie de la population mondiale est affiliée à une religion. Il est absolument nécessaire de connaître le discours de celle-ci sur le rapport à la nature car il y a des « affinités » entre religion et écologie au sens des « affinités électives » de Max Weber. La chrétienté a globalement évolué vers une intégration forte de la nature. Chez les catholiques l’encyclique « laudato si » en atteste. Les religions d’extrême orient ont des rapports assez fort avec la nature dans le sens où tout est interdépendant. L’islam a une conception tutélaire de la nature. En tant que création de dieu, le musulman doit en prendre soin. Les problèmes actuels sont liés à l’absence d’éthique musulmane universelle dans le monde. Cette brève présentation signifie que la l’annonce des difficultés actuelles est compatibles avec les croyances des personnes dans le monde et que celles-ci peut donner l’impression que nos difficultés peuvent s’apparenter aux croyances en la fin du monde qui sont les leurs.

Les croyances en la fin du monde

Pour aller plus loin dans les croyances il est important de comprendre comment fonctionnent un type particulier de croyances qu’on appelle croyance à la fin du monde (CFM) qui sont souvent liées à des conceptions d’un monde juste qui a du sens[1]. La collapsologie est souvent renvoyée à une CFM. Cela est affirmé de manière assez péjorative. La fin de monde, c’est bon pour les personnes irrationnelles, c’est à dire les croyants. Pourquoi s’intéresser à la fin du monde ? D’abord parce que certaines données scientifiques montrent une augmentation très sérieux de la probabilité d’occurrence de problèmes graves. Nous les avons déjà listés. Ensuite, si la « Fin du Monde » représente, généralement, une menace, elle peut aussi, par réactance[2] renvoyer à une envie de vivre, de continuer à donner du sens. Le signal donné par les mauvaises nouvelles peut être facteurs de changements importants.

On distingue généralement trois types de (CFM)

On parle des croyances religieuses, des croyances scientifiques et des croyances à responsabilité humaines –souvent qualifiées d’écologiques.  Les CFM religieuses sont dénommées eschatologies[3]. Elles s’organisent généralement selon la séquence suivante. D’abord une période de trouble car l’homme n’a pas respecté les commandements divins. Ensuite un combat final entre les forces du bien et les forces du mal avec un jugement des hommes qui permet de séparer les croyants qui ont respecté les préceptes de la religion et les autres. Enfin une nouvelle ère de paix, de concorde et de prospérité. En un mot le paradis. Les CFM scientifiques s’appuient sur les connaissances scientifiques. Expansion de l’univers, fin du soleil, etc. Elles sont jugées lointaines et peu préoccupantes. Les CFM à responsabilité humaine s’appuient aussi sur les connaissances scientifiques mais sont plus marquées par les découvertes actuelles sur l’anthropocène et sur les conséquences écologiques de l’activité de l’homme. Les spécialistes distinguent des positions différentes dans le rapport au monde qui peuvent déterminer le type de croyances auxquelles on adhère. Le monde est-il juste ou injuste ? Peut-on justifier le fonctionnement de nos sociétés ou faut-il le remettre en question ? Existe-t-il une justice finale divine ou une justice immanente (nous devons payer les dégâts causés à la nature) ? Les personnes qui adhèrent à une CFM à une responsabilité humaine et écologique sont plus enclins à trouver notre monde injuste et à croire à une justice immanente. Ceux qui adhèrent à une fin religieuse sont plus enclin à croire à un monde juste (qui est bafoué) et à une justice finale. Après tout, dans les deux cas il faut payer les conséquences de nos actes. Pour les croyants religieux, on peut observer deux types de relation à la justice. Si le monde dont je bénéficie est juste, j’aurai tendance à développer une théologie de la prospérité[4] comme certains évangéliques américains et à considérer qu’il n’y pas de problème écologique ou humain. Ceux qui n’ont pas été récompensés, n’ont pas suivi les commandements divins importants. Si je trouve les dégradations écologiques inacceptables et que je me soucie de la «maison commune » à la suite du Pape François[5], je vais considérer que les erreurs des hommes doivent être corrigées et les comportements amendés pour être conformes à l’exigence e préservation des conditions de vie sur terre.

La collapsologie ne fonctionne pas comme une CFM

Il est vrai qu’à première vue la collapsologie pourrait faire penser à une CFM. Mais ce qui est frappant, c’est à quel point les gens voudraient qu’elle soit une CFM. Peut-être pour la cantonner dans l’irrationnel. Or la collapsologie n’est pas une croyance en la fin du monde au sens religieux et classique du terme. Il n’y pas de rédemption possible et de futur paradisiaque. Il y a une forme d’absurdité et de perte de sens. D’autant plus que l’horizon temporel est raccourci par l’imminence supposée du phénomène. Mais on a des travaux sur le fait que les individus, en situation d’incertitudes, de difficultés (réelles ou projetées), ou d’environnement hostile, ont tendance à développer des réflexions et des comportements religieux par un mécanisme de défense. Ce qui explique peut être que les gens qui découvrent cette narration ont tendance à développer des pratiques religieuses ou spirituelles nouvelles (presque 50 % selon l’étude 2019 de l’Obvéco). Mais cela explique aussi les résistances que provoque le sujet.

On ne peut pas nier les problèmes sur cette excuse

Les données scientifiques semblent implacables. Dire que la collapsologie réactive des comportements religieux ou ressemble à une CFM n’aide en rien à trouver des solutions pour affronter les problèmes auxquels nous sommes confrontés. Les changements nécessaires (faut-il encore les définir correctement et les choisir démocratiquement) doivent être analysés. Au passage croire, n’est pas si grave que cela. Les résultats produits par Jugel[6] semblent montrer que les personnes religieuses ou spirituelles valorisent fortement la responsabilité humaine. Il convient donc d’amender son comportement pour la plupart des personnes interrogées. Et ils sont plus susceptibles d’adopter des comportements écologiquement vertueux s’ils cadrent avec leur croyance générale. C’est généralement le cas.

Les orthopraxies

A ce stade on voit se développer ce qu’on appelle des « orthopraxies ». C’est un comportement codifier qui dit la croyance. Le type d’orthopraxie facilement repérable sont le hallal  ou le cacher par exemple. Possible ou interdit. Sur ce terrain l’islam littéral et le judaïsme orthodoxe sont des parangons de codification à l’extrême. Mais ce type d’orthopraxie est aussi repérable dans des comportements écologiques ou dans d’autres idéologies. En fait il s’agit de comportements susceptibles de montrer l’attachement que l’on porte à la croyance (ne pas manger de viande et devenir végétarien, ne plus prendre l’avion, ne plus produire de déchets, etc). Le comportement peut dans certains cas devenir plus important que l’objectif. Pour reprendre l’exemple de la viande, on sait qu’il faut limiter la consommation de viande. Nous mangeons collectivement trois fois plus de viande que nécessaire selon l’Anses[7]. Nous savons aussi que la production animale a un fort impact sur la planète. L’objectif est donc de réduire drastiquement la consommation de viande. Pas nécessairement de devenir végétarien. Et surtout pas de vouloir imposer (éventuellement par la force) ce régime de vérité à tout le monde. On a le même phénomène quand on renonce totalement à prendre l’avion ou sur de nombreux autres sujets. En cela certains comportements écologistes ont des affinités électives avec des comportements religieux sans pour autant avoir la même source.  La raison d’être d’un interdit absolu est qu’il est plus facile à comprendre et généralement plus efficace. Pas d’interprétation possible. C’est pour cela que les « croyants » ont tendance à adopter des comportements codifiés assez binaires pour réduire la marge d’interprétation possible.

Loïc STEFFAN

[1] Pour plus de détail sur les croyances en la fin du monde, on peut se reporter à la thèse de doctorat de Milena Jugel « Système de croyances et menaces existentielles. Analyse d’un équilibre intégrant les croyances en la fin du monde. » soutenue en 2013 à l’université de Bordeaux Segalen.

[2] La réactance est un mécanisme psychologique qui fait que les individus tentent de maintenir leur liberté d’action elle leur semble menacée ou limitée par une pression sociale ou des événements particuliers.

[3] Le mot eschatologie est composé d’ eschatos (dernier) et de logos (parole). En théologie, il désigne est le discours sur la fin du monde ou la fin des temps. Dans de nombreuses religions, celle-ci est un événement futur prophétisé dans les textes sacrés

[4] une croyance religieuse chrétienne évangélique qui prétend que la Bible enseigne que l’aisance financière des Chrétiens est un signe de santé spirituelle et que la pauvreté est une malédiction

[5] L’encyclique Laudato si a été largement saluée dans les milieux écologistes comme un texte majeur sur les questions qui nous préoccupent dans ce livre.

[6] Jugel « Système de croyances et menaces existentielles. Analyse d’un équilibre intégrant les croyances en la fin du monde. », op cit.

[7] https://www.lemonde.fr/sante/article/2017/01/24/moins-de-viande-et-de-charcuteries-moins-de-sucre-les-recommandations-de-l-agence-sanitaire_5068115_1651302.html

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