Qu’est-ce qui fait que nous avons tous l’intention de nous mobiliser pour l’environnement mais que dès qu’il s’agit de passer à l’acte nous n’en faisons rien – ou si peu ? De nos jours, dans notre monde hyperconnecté, il faudrait être fou pour nier certains faits avérés scientifiquement : l’empoisonnement de notre eau potable ou l’extinction des abeilles (qui pollinisent la plupart des fruits et légumes que nous mangeons) par les phytosanitaires. Sans eau ni nourriture, comment allons-nous à l’avenir subvenir à nos besoins élémentaires : manger ou boire ?

Nos petites lâchetés quotidiennes contre l’environnement

Il ne s’agit pas de prétendre devenir un parangon de l’écologie. Que nous ne consacrions pas tout notre emploi du temps à protéger la nature passe encore ; mais il y a pire. Alors que nous connaissons ces dangers, nous continuons à menacer la planète par nos gestes les plus anodins, gestes sur lesquels nous avons pourtant prise au quotidien : prendre l’avion pour partir en vacances à Barcelone le week-end (400 Kg de carbone rejeté dans l’atmosphère – cf. calculateur de CO² de Climatmundi https://www.climatmundi.fr/index.phtml?lng=FR&srub=6&InitEcommerce=true&-ecommerce- soit 20 ans environ pour qu’un arbre les réabsorbe ou 20 arbres pendant un an), manger du bœuf plusieurs fois par semaine (un kilo de cette viande nécessite 15.000 litre d’eau pour la produire http://www.lefigaro.fr/vert/2008/11/24/01023-20081124ARTFIG00580–kilo-de-buf-litres-d-eau-.php) ou payer 20% d’emballages dans son caddie de courses (qui vont venir grossir le 7° continent de plastique – qui dépassera en masse le nombre de poissons de mer en 2050 si l’on continue à ne rien faire http://www.lefigaro.fr/sciences/2016/01/25/01008-20160125ARTFIG00358-en-2050-les-oceans-compteront-plus-de-plastique-que-de-poisson.php). Que faudra-t-il comme événement catastrophique pour que nous passions des intentions aux actes ?

Rien ne sert d’apeurer ou de culpabiliser

Depuis que je suis psychologue, j’ai appris que rien ne sert d’apeurer ou de culpabiliser autrui pour lui faire prendre conscience des choses ; l’intellect est suffisamment malin pour le faire fuir ou rationnaliser. Je ne vous crierai donc pas que « polluer tue ». Ce cri d’alerte produirait le même effet de rejet que l’injonction faite aux fumeurs sur chaque paquet de cigarettes. Tout le monde sait que « fumer tue », pourtant cela n’empêche pas les fumeurs de continuer à prendre du plaisir à tirer sur leurs sèches en se disant qu’ils passeront bien entre les gouttes statistiques et que le cancer ne passera pas par eux. L’être humain est ainsi fait qu’il préfère croire à des histoires irrationnelles plutôt qu’à la vérité froide des scientifiques. Le petit enfant a vraiment peur du loup qu’il croit tapi sous son lit quand bien même ses parents lui disent qu’il n’en est rien après avoir vérifié moult fois, qu’il doit être raisonnable, qu’il faut arrêter de crier et (les laisser) dormir. Emotion contre raison : éternel débat, perpétuel combat.

Raison et émotion : pas contre, mais tout contre…

De fait en matière d’écologie et d’éco-engagement, raison et émotion ne sont pas l’un contre l’autre, mais tout contre l’un l’autre. Pour qu’il y ait mise en action humaine, il ne peut y avoir de discours rationnel efficace sans histoire émotionnelle forte. On ne bouge pas si on n’a pas compris les choses rationnellement ET émotionnellement. C’est pourquoi, j’ai décidé de passer par ces deux canaux : le rationnel avec le post qui présente les « dragons de l’inaction » –  tous ces mécanismes psys qui nous empêchent d’agir pour l’environnement ; l’émotionnel avec l’histoire qui suit, pour réveiller de sa torpeur l’enfant qui sommeille en chacun de nous… Ecoutons donc et méditons l’histoire des autruches éco-myopes, comment elles disparurent de la surface de la terre, il y a fort, fort longtemps…

Il était une fois, les autruches éco-myopes…

Il était une fois il y a fort, fort longtemps, dans le royaume du consumérisme débridé d’antan, l’histoire de gros volatiles qui avaient perdu l’usage de leurs ailes. Ces oiseaux-là, qu’on appelait autruches éco-myopes, ne savaient plus s’envoler dans l’air azuré ni se percher sur les branches fines des arbres pour contempler les merveilles de la nature. Ces autruches étaient si voraces qu’elles étaient bien trop lourdes pour prendre de la hauteur et comprendre ce qu’elles voyaient. Bien qu’elles aient un cerveau reptilien assez petit, elles avaient développé des capacités locomotrices hors du commun. Grâce à leurs pattes, longues et musclées, elles pouvaient couvrir de très longues distances en peu de temps pour trouver leur nourriture. C’était leur obsession. Vivant en tribus nombreuses, elles passaient leur temps à manger, à se déplacer, à manger encore, à se déplacer, encore et encore, toujours plus vite, en faisant la course ; c’était à celle qui serait la plus rapide.

Dès qu’elles repéraient un petit coin de paradis champêtre, ces autruches gloutonnes n’avaient qu’une hâte : s’empiffrer pour calmer leur appétit insatiable, jusqu’à ce que le moindre petit brin d’herbe et la toute dernière goutte d’eau aient disparu, tout au fond de leur estomac. Lors de chacune de leur incursion en ces terres verdoyantes, les petits animaux autochtones, bien qu’ils aient été accueillants au début, leur demandaient poliment de réfréner leur appétit et de leur laisser de quoi se sustenter eux aussi. Il fallait en garder pour le lendemain mais aussi pour les jours d’après. Mais les autruches éco-myopes, perchées sur leurs longues pattes, mal conseillées par leur cerveau reptilien, n’y voyaient que du flou. Elles ne pensaient qu’à engloutir tout ce qui passait à portée de bec, à leur seul profit.

Lorsque les petites bêtes du cru les avertissaient que la nourriture allait à manquer, elles leur répondaient invariablement, en continuant à se baffrer : « Ne vous inquiétez donc pas, il suffit de faire comme nous ; changez d’endroit ! » Les autochtones leur expliquaient que cet endroit était celui dans lequel ils vivaient depuis des générations. Ils n’avaient pas envie d’en être déracinés, il leur avait fourni de quoi boire et de quoi manger depuis des lustres, jusqu’à ce que les autruches viennent tout bouleverser. De plus, n’ayant pas d’aussi grandes pattes qu’elles, ils ne pouvaient se déplacer bien loin, au risque de rapidement dépérir. « Que vous êtes agaçants de vous plaindre, à la fin ! » rétorquaient-elles la bouche pleine, « vous qui êtes si intelligents pour prédire l’avenir, servez-vous de votre néocortex frontal pour vous débrouiller, fichez-nous la paix avec vos problèmes insignifiants, sinon nous allons vous écrabouiller ! Nous ne changerons en rien nos habitudes ! … ».

À force d’entendre la même ritournelle, les plus jeunes autruches s’aperçurent toutefois que ce que leur avaient dit ces bestioles riquiqui semblait se réaliser. Elles constataient que leur tribu avait de plus en plus de mal à trouver des petits coins verdoyants. Il fallait parcourir toujours plus de distance dans des terres désolées sous un soleil écrasant. Elles essayèrent d’avertir leurs ainées. Mais comme elles trouvaient encore des oasis, elles en conclurent que c’était la faute à pas de chance ; elles oubliaient leur peine et s’incrustaient sans vergogne chez d’autres autochtones pour recommencer leur manège.

Un jour, les autruches éco-myopes apprirent qu’il y avait une oasis réputée pour la variété des essences de ses plantes, par-delà l’étendu de sable d’un immense désert. Elles eurent la prétention de rejoindre cet îlot de verdure. Bien qu’elles courussent vite sous le soleil ardent, elles arrivèrent en piteux état. Pris de pitié de voir ces oiseaux surgir du désert, assoiffées, affamées, les animaux résidents de l’oasis les accueillirent, par solidarité animale. Mais dès que les autruches reprirent des forces, leur nature vorace et violente repris le dessus. De nouveau, ces autochtones se perdirent en conjectures. Ils regrettaient de les avoir accueillis ; ils étaient bien moins forts qu’elles et n’avaient plus vraiment le choix, le mal était fait. Ils voyaient bien qu’au train où les autruches éco-myopes mangeaient et buvaient ils allaient mourir de faim et de soif. Ils se décidèrent à en parler aux gros volatiles qui continuaient à festoyer en dévorant les toutes dernières essences de plantes. C’était dur à dire mais comme c’était une question de vie ou de mort, les petites bêtes autochtones crièrent haut et fort, au péril de leur intégrité : « nous ne voulons plus de vous ici, allez-vous-en avant qu’il ne soit trop tard ! Si vous continuez à piller notre oasis, il ne nous restera plus rien pour boire et manger et vous allez tous nous faire mourir !»

Ce dernier point fâcha les autruches éco-myopes. Elles se fichaient bien que ces petites bestioles de rien du tout meurent mais leur propos leur avait fait penser à leur propre mort, remettant en cause leur toute-puissance. Elles ne voulaient plus entendre de telles horreurs et nièrent leurs arguments tout en grognant pour montrer qu’elles étaient toujours les plus fortes. Plutôt que de regarder la réalité en face, elles les accusèrent : « la mort ? Que vous êtes morbides ! Cessez de proférer de telles insanités ! » Les autochtones insistèrent en leur expliquant rationnellement que si elles mangeaient tous les brins d’herbe et buvaient toute l’eau, leurs plantations ne pourraient plus se perpétuer et leur petit coin de paradis deviendraient un désert stérile. Les autruches n’en croyaient rien. À court d’arguments, elles firent ce qu’elles savaient faire le mieux quand elles ne voulaient pas entendre leurs quatre vérités : elles mirent leur tête comme un seul homme dans le sable de la source de l’oasis, quasi asséchée.

Le lendemain matin, après avoir mal dormi (elles avaient toutes fait des cauchemars de fin du monde à cause de ces oiseaux de mauvaise augure) les autruches éco-myopes se dirent que les autochtones de ce petit coin de verdure étaient vraiment des rabat-joie qui leur mettaient le moral à zéro. Elles décidèrent de partir de l’oasis qui n’avait vraiment plus rien d’un paradis. Non, c’était même le contraire. À force d’avoir tout grignoté et tout asséché, il n’y avait plus d’arbres pour faire une sieste à l’ombre, ni de petits brins d’herbe bien tendre et bien croquant à se mettre sous le bec, ni d’eau fraîche pour se désaltérer. Ne restaient plus que des arbrisseaux morts et des herbes sèches jaunies, parfaitement immangeables. Les autruches décidèrent alors de partir de cet enfer, laissant là les autochtones qui pleuraient toutes les larmes de leur corps parce que la terre de leurs ancêtres avait été saccagée.

Les autruches éco-myopes marchèrent vers le nord, espérant trouver un havre de fraîcheur. Mais elles ne croisèrent aucune âme qui vive pour les guider. Ce n’était que dunes de sable brûlant et montagnes de rocs arides, à perte de vue. Il n’y avait ni arbre ni herbe qui dépassait de cet horizon minéral. Elles commencèrent à douter d’elles-mêmes. Les plus jeunes se mirent à reprocher aux plus vieilles leur mode de vie qui avaient eu pour conséquence de les emmener dans cette galère. Mais cela ne servit à rien car il était trop tard. Elles errèrent des jours et des nuits sans trouver de quoi boire ou manger. Assoiffées et affamées, les autruches n’avaient plus d’autre issue que de chercher individuellement la solution à leur problème. Comme elles l’avaient toujours fait, chacune plongea sa tête dans le sable brûlant. Comme elles étaient déshydratées, la torpeur les endormit tout de go ; toutes se desséchèrent sur pied et se minéralisèrent en un instant, comme par magie. Et c’est ainsi que les autruches éco-myopes disparurent de la surface de la terre, bien avant que les poules n’aient de dents, comme jadis leurs lointains ascendants, les dinosaures, et qu’on peut encore les voir à jamais immobiles, la tête dans le sable, dans cette vallée de larmes asséchées du désert des illusions d’antan…

Pierre-Eric SUTTER

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