Observer la façon dont la collapsologie est reçue par nos contemporains peut choquer quand on constate la virulence des réactions qu’elle suscite. Tant la mise à distance du message collapsologique que l’agressivité à l’encontre de ses messagers les collapsologues. En annonçant l’effet domino d’effondrements multiples qui menacent nos sociétés thermo-industrielles, la collapsologie réveille les angoisses de finitude. Fin des équilibres naturels, fin de la biodiversité, fin des ressources, fin du progrès, …fin des haricots ?
En rappelant que les sociétés sont mortelles, elle suscite ce “retour du refoulé“ qu’est le tabou de la mort. A exhiber aussi impudiquement les conséquences funestes des dysfonctionnements de nos sociétés (pollutions, destruction des écosystèmes…), la collapsologie serait obscène. En dénonçant la croyance in(sou)tenable d’une croissance infinie dans un monde fini, cache-sexe du consumérisme capitalistique, les collapsologues seraient-ils les pornographes de l’anthropocène ?
Les collapsologues dérangent ; ils osent dire que le roi est nu. Ils pointent l’absurdité de nos fonctionnements et l’obscénité de nos dysfonctionnements poussés à leur paroxysme. Ils nous font réaliser notre consentement pervers au système et notre passivité quasi sadomasochiste. Nous faisons comme eux le constat que nos sociétés, sans âme et sans but, foncent vers l’abîme. Mais chut ! tant que la machine consumériste continue de fournir ses prodigalités, taisons-nous et laissons faire, comme jadis le sexe honteux et ses scandales d’alcôve… Nous faisons comme si les dangers écologiques qui nous menacent n’existent pas. La meilleure défense étant l’attaque, sus à l’indécence des collapsos !
Pour leurs détracteurs, les collapsologues osent dévoiler des courbes impudiques dans des graphiques où les vies sont réduites à des points et des inflexions. Ils n’hésitent pas à parler de milliards de morts, de survivants sacrifiés qui s’avanceraient vers une fin effroyable. “Morituri te salutant“ : la collapsologie met à nu l’injustice d’un système où ceux qui ont le moins pollué vont être les premiers impactés par les désastres écologiques économiques, sociaux ou sanitaires. Tous ceux que nos pays riches sont prêts à laisser mourir, tels les migrants repoussés à la mer.
En faisant des TGP (très gros plans) à la manière d’un gonzo, la collapsologie nous colle le nez sur l’écran des phénomènes mécanistes de nos sociétés prédatrices dénuées d’humanité et de sentiments écologiques. Elle donne à voir ce que nous voudrions garder dans l’intimité. Nous réalisons avec dégoût que nous sommes les acteurs irresponsables de ce mauvais film porno. Voyeuristes, nous regardons du coin de l’œil le miroir collapsologique sans rien changer de nos comportements, ou presque : comme le montrent nombre de sondages, nous avons l’intention de faire des écogestes pour l’environnement, à une écrasante majorité. Mais seule une infime minorité passe aux actes de façon soutenable, au moins du point de vue de la COP 21. Qui aujourd’hui parvient à limiter son impact carbone à 2 tonnes par an ? Pourquoi autant de réactions négatives aux propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat ? On ne pourra pas dire qu’on ne savait pas, dans une société « infobèse », obsédée par le règne de la quantité et de la technosalvation.
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