Depuis quelques temps dans les médias, on entend parler de ces personnes qui se préparent à affronter la « fin du monde » comme le précise de façon un peu caricaturale BFM dans son reportage https://www.bfmtv.com/mediaplayer/video/ils-preparent-la-fin-du-monde-1149889.html?fbclid=IwAR3Ibhp9AKfsyJkwn_Sbyv0Ydh2pChhiBOc6IEA7KsoFcReYdiW2JnVkaIQ.  Mais de quelle fin du monde parle-t-on ? Et pourquoi s’y préparer ? Comment des personnes apparemment saines de corps et d’esprit en arrivent à s’inquiéter pour l’avenir de la planète jusqu’à tout quitter – leur job et tous les avantages du progrès de notre civilisation ?

L’éco-anxiété, kesako ?

Le concept d’éco-anxiété, qui existe depuis 25 ans environ, permet de comprendre la dynamique interne de ceux qui décident de tout quitter de la sorte. Elle est source d’enseignement pour tous ceux qui pourraient traverser les mêmes affres. L’éco-anxiété est un trouble psychique émergent lié à une nouvelle perspective : le collapse, ou effondrement du monde. Elle touche ceux qui s’inquiètent des changements climatiques ou des externalités négatives (pollution, rejets industriels…) que produit l’humanité envers la planète. Ils n’ont rien de fous-furieux, ce sont même des individus très bien informés et parfaitement rationnels. Ils ont recueilli patiemment des données scientifiques éparses qu’une jeune science, la collapsologie, tente d’unifier pour montrer l’effet systémique de tous ces dérèglements : à force de ne rien en faire et de ne voir que le court terme, ils ont acquis la certitude que nous allons vivre cet effondrement du monde de notre vivant et que l’humanité va y laisser des plumes. Rien à voir avec une apocalypse nucléaire ou un virus foudroyant qui éteindrait toute vie sur terre. Plutôt une anticipation de catastrophes en chaine, qui anéantirait tout ou partie de notre civilisation. Cette anxiété, est donc liée à la peur non de la fin du monde mais de ce monde, i.e. notre civilisation actuelle. Avec son modèle de croissance infinie, impossible de la faire perdurer dans un monde fini, sur une planète aux ressources limitées qui commencent à s’épuiser drastiquement, puisque nous avons l’année dernière consommée dès le 1° aout les ressources annuelles que la terre peut nous fournir.

L’éco-anxiété, un trouble de l’humeur lié à la probabilité du « collapse »

Que l’on ne se méprenne pas : l’éco-anxiété même si elle peut parfois se muer en dépression réactionnelle, n’est pas une psychopathologie au sens où ces personnes seraient déréalisées. Bien au contraire, elles ont un sens aigu des réalités, presque trop, puisqu’elles surfocalisent ces informations rationnellement, établissent que par une succession de causes à effets le système capitaliste avec sa croyance en une croissance continue, ne peut qu’emmener l’humanité dans le mur. C’est donc d’un trouble de l’humeur qu’ils vivent, comme un deuil presque impossible à vivre tant jusqu’au point à en être envahie dans leur quotidien. Mais du fait de l’effet systémique du collapse : la déplétion des ressources, l’extinction massive de la biodiversité, le réchauffement climatique, la fonte des pôles… Bref, la fin de plus en plus probable de notre civilisation thermo-capitaliste fondée sur le pétrole. La liste des atteintes à l’environnement, hélas, s’allonge et rend de plus en plus probable l’effondrement. Les théories des climato-sceptiques se fragilisent face à la multiplication des signes d’inquiétude. Leur souci n’est pas de savoir si le collapse va arriver, mais quand et de se préparer à le vivre, d’où leur anxiété. Pour comprendre ce qu’ils vivent, leur vécu on peut voir le témoignage poignant d’une « éco-anxieuse » dans l’excellent documentaire de Clément Monfort et aussi celui d’une écopsychologue https://www.youtube.com/watch?v=RuoUFcoBNdQ.

L’éco-anxiété, inquiétude pour les atteintes à l’environnement

Le terme « éco-anxiété » vient de l’écopsychologie, mouvement qui s’intéresse aux conséquences sur la psychè des personnes inquiètes par les atteintes à l’environnement et à la planète. Le terme a été́ inventé en 1992 par le sociologue et historien californien Théodore Roszak, pour traduire l’idée que nos troubles seraient causés par le caractère trop distant que l’être humain entretient avec la planète et les dommages qu’il lui fait subir. De nos jours, l’éco-anxiété renvoie à la crise écologique mondiale que nous traversons. En effet, nous sommes tous concernés par le réchauffement climatique et de plus en plus sensibilisés aux catastrophes environnementales qui se manifestent dans le monde entier pour déboucher sur le collapse, ou effondrement du monde. Ces phénomènes, constatés par nombre de scientifiques, sont rassemblés et étudiés sous la bannière d’une nouvelle science, la collapsologie. Cette réalité́ concrète du collapse et ses conséquences sur l’avenir nous font prendre conscience des dangers encourus par notre humanité́ qui paradoxalement détruit l’environnement sans lequel elle ne peut continuer de vivre. Comment assouvir ses besoins vitaux si toutes les nappes phréatiques sont polluées par les phytosanitaires ou qu’il n’y a plus d’insectes pour polliniser les fruits et légumes que nous mangeons ?

Angoisse eschatologique, sentiment de fin du monde…

Cette sensibilisation environnementale, à la fois collective et individuelle, est douloureuse parce qu’elle nous oblige à ouvrir les yeux sur des actes que nous commettons au quotidien et qui sont susceptibles de mettre nos vies en danger, ce qui ne va évidemment pas sans angoisses. La prise de conscience que nos actes peuvent contribuer à l’effondrement du monde donne naissance à l’éco-anxiété, symptôme proche de l’anxiété́ classique. Mais ce qui la différencie d’un simple stress, c’est la dimension de désespoir qui s’y ajoute. L’éco-anxiété se rapprocherait donc d’une forme de mélancolie avec son cortège d’auto-reproches, de culpabilité́ et un sentiment oppressant de fin du monde, la fameuse angoisse eschatologique. Ce sentiment est amplifié par l’impression de ne rien pouvoir faire pour contrer le changement climatique et conforte le sujet dans le fait qu’on est impuissant face à cette réalité́. Cette absence de perspective peut se traduire par une souffrance morale qui revêt différentes formes cliniques, allant des troubles du sommeil à la dépression dans les cas les plus graves.

L’angoisse est un signal d’alarme, une alerte interne qui nous signifie que nous sommes devant une situation de danger. L’angoisse peut être sans objet, diffuse. On est anxieux mais on ne sait pas très bien pourquoi ni à cause de quoi. On parle alors d’angoisse sans objet. Dans le cas de l’éco-anxiété, l’objet cause de l’angoisse est connue, la dégradation constante de notre planète mais on ne sait pas véritablement quand elle va arriver. Le lien vital, à la fois physique et psychologique, qui nous relie à la nature, est mis à mal par la vie moderne et le développement des nouvelles technologies. Nous avons gagné́ en indépendance mais nous vivons de plus en plus coupés de la nature, d’autant que la division du travail du capitalisme nous exproprie des fonctions vitales les plus basiques : savoir produire notre propre nourriture. Tout ceci engendre des désordres nerveux ce à quoi s’ajoute des problèmes de santé dus à diverses formes de pollution : CO², phytosanitaires, bruit, excès d’écran…

Comment gérer cette éco-anxiété ?

Dans le cadre de notre pratique de psychothérapeute, lorsque nous rencontrons des personnes qui souffrent d’éco-anxiété, comme avec d’autres troubles de l’humeur notre rôle est d’écouter, d’analyser, et de découvrir les tenants et aboutissants de ce trouble. Il s’agit de travailler avec les patients sur le dégoût du monde qui provient de la prise de conscience que la civilisation détruit la nature mais aussi sur le dégoût de soi qui résulte du manque d’investissement de soi pour la nature avant cette prise de conscience. Toute la finalité du travail psychothérapeutique consiste à leur redonner du sens face aux non-sens qu’ils affrontent dans ce contexte. Ce travail peut aider ces patients à ne plus se laisser déborder par leur angoisse, mais au contraire à la sublimer en engageant des actions concrètes pour prendre soin de la planète. Dépasser une angoisse en actions concrètes (écogestes, engagement associatif, projet écologique, etc.) à portée de compétences et de sens pour la personne est probablement le meilleur remède à l’éco-anxiété.

Pierre-Eric SUTTER

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