Contrairement à ce que l’on entend parfois, la collapsologie est un sujet éminemment politique. Pas dans son objet mais dans les conséquences de ses conclusions. Ce qui perturbe la plupart des gens vient du fait qu’elle bouleverse les imaginaires politiques sans pour autant proposer une voie politique. Le peut-elle d’ailleurs ? Mais quand on analyse les forums et notamment celui de « la collapso heureuse », on s’aperçoit que son succès tient en bonne partie à son potentiel politique, par la capacité au dialogue sur le vécu et sur l’imaginaire de leurs membres pourtant très différents.
Il faut d’abord comprendre qui sont les collapsologues
Il y a d’une part ceux qui essaient de produire du savoir et d’autre part ceux qui s’intéressent à ce discours. Il faut donc les connaître. Or de nombreuses personnes expriment des opinions sans avoir étudié le mouvement. Pour nous, un collapsologue est avant tout une sorte de « geek » qui partage des informations très pointues autour des problèmes de ressources ou de climat et qui opère un formidable travail de vulgarisation pour rendre sa passion compréhensible par le plus grand nombre. Ensuite il aime discuter avec des pairs sur sa conception du monde. En général la politique n’est pas loin même s’il n’a pas forcément de culture politique. Ils sont très divers et on veut coller la même étiquette à des gens qui ne se ressemblent pas. Et cette diversité on la retrouve chez les auteurs qui documentent ce phénomène.
C’est aussi une erreur de penser qu’il s’agit de la dernière réitération en date de visions apocalyptiques, religieuses ou sécularisées qui animent le cours de la pensée humaine. On a tenté de réduire la collapsologie à une nouvelle croyance en la fin du monde mais ce n’est pas le cas. Les mécanismes ont des ressemblances mais suffisamment de différences pour activer des ressorts différents, car la collapsologie procède différemment. Elle documente le caractère systémique des problèmes que nous rencontrons, elle passe par le logos. Il y a d’ailleurs énormément de gens qui savent manier de l’information scientifique dans le public sensibilisé au départ sur ces questions. Nous le traitons dans l’article « Qui sont les collapso? » paru le 21 septembre dans le n°2 d’Yggdrassil.
La collapsologie provoque une nécessaire refondation du politique
Il faut entendre refonder au sens premier du terme de fondation, car c’est la narration qui est la plus à même de réinventer le ou les projets politiques qui sous-tendent les sociétés modernes. En effet, l’émergence de la démocratie s’est faite dans un contexte porté par l’idée de progrès, de croissance et d’abondance, où les inégalités se résorberaient. En économie la courbe de Kuznet est l’illustration de ce principe. Piketty a bien montré que ce n’était pas vraiment le cas. Dans son dernier ouvrage il montre d’ailleurs à quel point notre conception des inégalités et de ses justifications est politique et idéologique. Nous avons besoins d’inventer des imaginaires qui justifient les inégalités car on ne peut le faire en se fondant sur des lois économiques. Et ce mécanisme pourrait conduire à une résurgence d’un âge identitaire à force de déception sur le cours de nos vies.
La collapsologie est un mot obus
C’est un mot qui colle. C’est un mot qui nous parle de « L’institution imaginaire de la société » au sens du livre de Castoriadis. On pourrait aussi citer « L’imaginé, l’imaginaire et le symbolique » de Godelier. Le réel est donc d’abord un ensemble d’éléments imaginés qui sont devenus réels au point que l’on en oublie qu’ils auraient pu ne pas être. Et la collapsologie (dans la charge symbolique qu’elle porte) possède cette propriété de dévoiler le fait que nous sommes potentiellement prisonniers d’une narration liée à la croissance, à un rapport à la nature, qui doivent être questionnés. Cela permet de réhabiliter la pensée de Gorz, ou de Polanyi, sur l’encastrement nécessaire de l’économie dans le social et l’écologique, ou encore la réflexion d’Ostrom sur les communs. Cela permet de réhabiliter notre rapport aux capacités porteuses de la planète. Et l’on pourrait citer de nombreux autres auteurs.
La collapsologie est un objet frontière qui nécessite un débat démocratique pour en définir les contours. Mais plus vous avez une culture politique et ou économique plus vous comprenez que ces questions, parce qu’elle touchent à la création de richesse, à l’utilisation des ressources et à la répartition, sont obligatoirement et éminemment politiques. Il faudra bien inventer les activités qui répondent aux besoins mal satisfaits aujourd’hui ou avec un coût écologique insoutenable. Difficile de parler de décroissance à ceux qui n’ont pas suffisamment pour vivre. Les plus écolos sont les plus pauvres en terme d’empreinte carbone. Mais ils ne l’ont pas choisi.
La collapsologie introduit l’aspect politique parce qu’elle questionne
En fait le mécanisme est assez simple. Si on vous dit (en vous le démontrant) qu’il va y avoir une déplétion des ressources, une dégradation des écosystèmes liée à la capacité porteuse de la planète et des partages obligatoires pour subvenir aux besoins de tous, si on vous démontre qu’il y aura probablement des migrations internationales liées aux dégradations des conditions de vie, vous êtes obligé de procéder à un questionnement radical de votre rapport au monde. Si vous êtes nationaliste de droite, vous allez répondre fermeture des frontières, préférence nationale et jeux non-coopératifs. Si vous avez un imaginaire plus solidaire, vous répondrez biens communs, éducation, solidarité dans le pays et solidarité Nord-Sud.
Si on vous parle de lien entre énergie et création de richesse, et qu’on affirme (en le démontrant) qu’on ne peut que très difficilement découpler l’émission de carbone et la production de richesses, vous êtes obligés de vous demander comment on pourra financer les services publics qui sont actuellement financés à partir d’un prélèvement sur la richesse produite.
Aujourd’hui, puisque la croissance ne semble plus aussi désirable et que nous avons des problèmes de dégradation de nos environnements, il est important de se poser la question d’un nouveau contrat naturel ancré sur un territoire donné. On comprend donc la nécessité de penser l’autonomie alimentaire. Surtout aujourd’hui où la moyenne est autour de 2 % selon le cabinet Utopie. Stephane Linou documente bien se lien entre résilience des territoires et sécurité.
Quand on vous parle d’effondrement, vous êtes obligé de vous poser la question de l’action collective, et celle de l’entraide. Vous savez qu’il faudra maintenir des structures sociales et penser la question des comportements rivaux en partie liés à des besoins non pourvus.
Paradoxalement, la prise en compte d’un collapse nécessite aussi de se projeter dans le long terme. Lorsque vous vous prenez dans la figure l’annonce d’Arthur Keller comme dans cette vidéo pour Next et qui est résumée dans le graphique (fait par Cédric Liardet) ci dessous vous vous posez obligatoirement un certain nombre de question qui ont trait au politique.
Lorsque vous écoutez la leçon inaugurale de Jancovici à Science Po vous êtes obligé de vous poser un certain nombre de questions, puisque CO2 ou PIB, il faut choisir. Plutôt radical comme conséquences, économiques, sociales, écologiques, et … politiques.
Si on vous fait des démonstrations de ce type, vous devez vous posez la question des dilemmes moraux que vous aurez à résoudre pour maintenir du lien social et pour prioriser ce qui est vital et ce qui l’est moins. Il devient nécessaire d’avoir des réflexions éthiques poussées. Ce débat n’est pas nouveau mais il est renouvelé. Et il est éminemment politique.
En questionnant toutes ces positions, les collapsologues font de la politique au sens premier du terme. Ils réhabilitent les arènes de discussion et montrent (peut être parfois sans le vouloir) les affrontements et les antagonismes qui structurent nos sociétés.
Le choc que provoque le diagnostic de la collapsologie et de son approche systémique peut provoquer une “métanoïa”, c’est-à-dire un brusque changement du regard, un élargissement du champ de conscience amenant à une nouvelle éthique, à un autre état d’esprit vis-à-vis des enjeux environnementaux. Autrement dit, la narration du collapse provoque une nouvelle façon d’être au monde. Il ne s’agit plus de se contenter de changements à la marge. Et en général lorsqu’on est dans ce genre de disposition on le fait par un engagement militant, politique ou sociétal pour ne pas rester en marge des évolutions du monde. Nous avons constaté dans les enquêtes que ce mécanisme fait que les collapsonautes ont tendance à privilégier les comportements pro-sociaux. Et veulent continuer à se projeter dans l’avenir. « Si l’on m’apprenait que la fin du monde est pour demain, je planterais quand même un pommier » disait Martin Luther King. C’est assez souvent l’état d’esprit de ceux qui ont dépassé l’état de sidération et qui se sont remis en route.
Je le redis pour être sûr d’être compris, la collapsologie est politique. Pourtant elle ne justifie aucune dérive autoritaire au nom de l’impératif d’action en faveur de l’environnement. Elle ne justifie aucune mesure liberticide. Elle n’induit pas plus une forme d’apathie ou d’indifférence face à l’effondrement. Bien au contraire. Elle peut produire des réflexions qui seront le plus à même de permettre à la démocratie de se réinventer pour peu qu’on ne reste pas à la surface des choses. Elle interroge également les experts et les politiques sur la façon de communiquer. On assiste chez de nombreux collapsologues à des parcours d’apprentissage en autodidaxie très intéressants. Cela augmente la capacité à être soi, pleinement citoyen, et à rejoindre des arènes de discussions.
La collapsologie créer du sens
Au final on peut dire que la collapsologie est en capacité de créer du sens. C’était l’objet de mon article « Le collapse est une nouvelle narration », paru en juin 2019 dans le n°1 d’Yggdrassil. Une société est un tissu d’interaction où les individus coconstruisent du sens, et surtout le sens de leur action au sein de cette société. Ce mécanisme se fait à la fois par de la confiance réciproque (voire de la défiance) et par de la projection dans l’avenir. Et c’est bien ça qui occupe le politique. Construire des mécanismes acceptés d’interaction entre les individus et une vision de l’avenir.
La collapsologie nécessite de traiter un vaste champ de connaissance dans des domaines très divers. Elle met en lumière le débat hautement politique de la qualité de nos institutions démocratiques. Elle permet également de réhabiliter le discours scientifique mais aussi de se prémunir des raccourcis sur les sciences et de certaines positions excessives. Les collapsologues sont censés être dans le registre critique, au sens philosophique et scientifique du terme, avec humilité. Il faut accepter sans cesse de revoir la robustesse de ses positions. Nous devons tous nous méfier de nous-même afin d’éviter de sombrer dans le dogmatisme qui impose sa vérité sur toutes les autres.
La collapsologie dépolitise-t-elle le citoyen en le poussant à le mettre en marge de la société ? Certainement pas, ou alors la question est mal posée. La vraie question sera de construire, à partir des thèses collapsologiques, une proposition sociétale globale qui respecte les individus, leurs libertés et leur émancipation, tout en préservant les équilibres naturels, en ne niant pas les conflits qui traversent nécessairement toute société.
Il est de la responsabilité de chacun de s’emparer de ce questionnement fort parce qu’il est prégnant sur tous les niveaux de l’existence humaine : les besoins primaires (se nourrir, respirer, se vêtir…) comme les besoins complexes (symboliser, se projeter dans l’avenir, faire société…). Le questionnement vis-à-vis du futur a toujours été une spécificité de l’humanité. La nature ayant horreur du vide, si chacun d’entre nous ne se questionne pas avec la collapsologie, d’autres le feront à leur place. Parfois, hélas, avec des sentiments méphitiques et des options liberticides. Le pire étant qu’ils auront des chances d’être entendus.
Vous avez une conviction politique forte ? Emparez-vous du sujet, notamment en donnant votre opinion sur ce blog. Si vous êtes humaniste, écologiste, républicain et respectueux de l’autre, nous aurons d’autant plus envie de vous lire et de vous répondre.
Loïc STEFFAN
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