Les informations relatives aux effondrements (collapse) inquiètent voire traumatisent ceux qui en prennent connaissance. Comme le montre l’intérêt des médias pour le sujet (voir la vidéo de l’interview de P.E. Sutter par France 3), de plus en plus de personnes sont préoccupées par ces informations, elles vont jusqu’à subir de l’anxiété voire de l’angoisse. Divers noms fleurissent pour désigner les états d’âme et troubles de l’humeur consécutifs à ces préoccupations et inquiétudes pour l’environnement. On entend indifféremment parler de « solalstalgie » et « d’éco-anxiété » voir de « deuil » pour désigner les craintes relatives à la disparition d’espèces ou aux menaces d’effondrements. En quoi ces termes sont-ils appropriés pour nommer ces craintes, les cernent-ils correctement ? Sur quel plan paradigmatique – psychologique, philosophique, autre – se positionner pour qualifier peurs, anxiété, ou angoisses qui selon les tableaux cliniques classiques ne sont pas de même nature même si elles peuvent être imbriquées ? En bref, quels mots utiliser pour nommer les maux consécutifs aux atteintes à l’environnement et à la prise de conscience du collapse, le processus d’effondrement de notre société thermo-industrielles ?

Précautions liminaires : ne pas tout psychologiser

Même s’ils traitent de problématiques relatives à l’environnement, les termes de solalstalgie et d’éco-anxiété ne désignent pas le même tableau clinique de symptômes : certains concernent des affects émotionnels ou troubles de l’humeur classiques (peur, états d’âme psychique…) bien connus des psychologues : la peur de mourir, le stress de voir s’éteindre des espèces animales ou de constater que les banquises fondent. D’autres symptômes concernent des aspects plus existentiels, mieux connus des philosophes et de certains psychothérapeutes (ceux adeptes de la thérapie existentielle dont le chef de file est Irvin Yalom) : la perspective de fin du monde (angoisse eschatologique) ou la peur de la mort (angoisse de finitude) et de ce qu’elle représente d’inaccomplissement (angoisse d’incomplétude), d’isolement (angoisse de solitude voir un exemple en vidéo) de choix (angoisse de responsabilité) et bien sûr, de crise de sens (angoisse noétique). La première catégorie de symptôme peut entrainer la seconde et vice-versa, c’est ce qui rend complexe leur appréhension. D’où le titre de ce post : le terme « mental » recouvre tout autant les aspects psychiques qu’existentiels (cognitifs ou attitudinaux) qui se combinent et qu’il convient de différencier pour mieux les traiter en cas de pathologie, car on ne guérit pas, par exemple, une crise existentielle avec des médicaments.

Absence de tableau clinique concernant les troubles mentaux liés à l’environnement

Même si on peut citer quelques travaux de recherches comme ceux de Glen Albrecht sur la solalstalgie, il n’existe pas encore de tableau clinique officiel répertoriant ces « pathologies » dans les classifications des maladies validées par les experts (comme celle du CIM – Classement international des maladies de l’OMS, une recherche dans le moteur du site officiel https://icd.who.int/browse11/l-m/en permet de s’en rendre compte aisément). Par ailleurs, on peut s’interroger sur la pertinence d’inventer des nouveaux termes du fait que les atteintes à l’environnement ou la perspective du collapse renvoient à des pathologies mentales déjà bien connues, comme nous allons le voir. De plus, l’appropriation de concept non valides scientifiquement (par exemple le modèle de la courbe de deuil de Kübler-Ross) par des non-praticiens des phénomènes mentaux peut accentuer les confusions.

Aussi, pour mettre des mots sur des maux, il convient d’établir un diagnostic différentiel utilisant les pratiques étiologiques en vigueur : partir des conséquences observables pour remonter jusqu’aux causes qui les ont engendrées. En psychologie, l’essentiel des conséquences s’observent dans le langage verbal (récit de l’individu de ses phénomènes mentaux : intentions, cognitions, émotions, sentiments…) et le langage non verbal (mouvements des yeux, gestuelles, rougeurs de la peau…). Il convient de recueillir ce matériau clinique pour le rattacher à un tableau nosographique (liste de symptômes des maladies répertoriées) qui permet de mettre les bons mots sur les vrais maux dont souffre les patients.

De la difficulté d’établir le diagnostic de la souffrance mentale liée au collapse

Ainsi, le manque de tableaux cliniques concernant les « éco-pathologies » ne permet pas de remonter vers des causes documentées scientifiquement ni d’envisager une prescription ad hoc et donc une approche thérapeutique appropriée. Par exemple, dire que des promenades dans la nature soulagent l’éco-anxiété (comme on le voit proposé par certains « coaches » soi-disant spécialisés en environnement) n’est en rien établi scientifiquement ; c’est une affirmation qui repose sur des croyances infalsifiables (non vérifiées) tant que n’a pas été prouvé un lien entre l’effet (les promenades) et les symptômes (l’angoisse eschatologique par exemple). Même si cela ne peut pas faire de mal, il n’est en rien établi que des promenades champêtres pourront soulager l’angoisse eschatologique résultant de la prise de conscience du collapse.

Aussi, il convient d’être prudent vis-à-vis des mouvements de type « new-age » qui n’ont rien de scientifiques et qui manipulent la détresse de personnes désemparées par l’effet d’annonce du collapse. L’écopsychologie fait partie de ces mouvements qu’il faut appréhender avec circonspection ; quand bien même son fondateur, Theodore Roszak est sociologue et professeur d’histoire en université, cela n’en fait pour autant pas un psychologue. C’est pourtant son courant qui va forger en 1992 le terme « d’éco-anxiété », comme nous l’avons relaté dans ce post https://obveco.com/2019/07/07/eco-anxiete-le-retour-des-angoisses-eschatologiques/, pour traduire l’idée que nos troubles seraient causés par le caractère trop distant que l’être humain entretient avec la planète et les dommages qu’il lui fait subir.

Ne pas confondre détresse rétrospective (solalstalgie) et détresses prospective (éco-anxiété)

Le concept de solalstalgie est, quant à lui, plus sérieux du point de vue scientifique. En effet, il a fait l’objet de recherches de la part de Glen Albrecht, philosophe australien aidé d’une équipe de psychiatres et a débouché sur une première publication scientifique en 2005. Le terme combine le mot latin sōlācium (consolation) et la racine grecque -algia (douleur). Il désigne une forme de détresse psychique ou existentielle causée par les changements environnementaux, une sorte de nostalgie qui naît du constat de voir un environnement se métamorphoser drastiquement au point de ne plus jamais ressembler à ce qu’il avait été. C’est le cas de la fonte des glaciers ou de la banquise, de la sécheresse de lacs ou de cours d’eau ou de l’arasement de montagnes pour cause d’exploitation minière. Ce concept traduit la détresse rétrospective d’un environnement à jamais bouleversé. Bien qu’il ne soit pas fondé scientifiquement mais qu’il soit forgé à partir d’un terme bien connu de la psychologie (l’anxiété), l’éco-anxiété pourrait traduire toutes les détresses prospectives concernant les effondrements du monde à venir.

L’anxiété est un état psychologique et physiologique caractérisé par des composants somatiques, émotionnels, cognitifs et comportementaux. Elle peut survenir sans cause ou objet identifiable. Elle est à distinguer de la peur, qui est une réponse émotionnelle aux menaces perçues. De plus, la peur est liée aux comportements spécifiques de la fuite et de l’évitement spécifique à un état de stress, alors que l’anxiété est liée aux situations perçues comme étant incontrôlables ou inévitables. L’anxiété peut également se définir comme un état d’âme orienté sur l’avenir durant lequel l’individu s’attend à recevoir des réponses négatives. Ces définitions suggèrent que c’est une distinction entre dangers futurs et dangers passés qui fonde la différence entre l’anxiété et la peur.

Il convient également de distinguer l’anxiété de l’angoisse, terme polysémique. Avant d’être considérée comme un sujet pour la psychologie, l’angoisse a fait l’objet d’une réflexion philosophique qui plonge ses racines dans les questions existentielles (l’être, le néant, la mort, le temps…). La psychopathologie de l’angoisse retrouve à un niveau individuel (psychologique) un questionnement universel, (philosophique) ; les deux sont inséparables même si pratiquement, ils ne doivent pas être confondus. L’angoisse est un mal-être qui se manifeste physiquement par une sensation interne d’oppression qui s’accompagne psychiquement d’une crainte de malheurs ou de mort imminente contre lesquelles le sujet se sent impuissant.

L’angoisse peut être sans objet, diffuse, comme par exemple l’angoisse de la mort. On est angoissé par la représentation de la mort car c’est un état d’être inconnu que l’on ne peut expérimenter de son vivant ; en effet on ne peut être mort et vivant à la fois. On parle alors d’angoisse sans objet. Dans le cas de l’éco-anxiété, l’objet qui la cause est connue, la dégradation constante de notre planète en revanche on ne sait pas véritablement quand et comment va arriver l’effondrement, contrairement au cas de la solalstalgie où il a pu se constater de visu.

La narration collapsologique peut ainsi activer différents niveaux d’états mentaux qui dépendent du contexte et de la situation, rétrospective ou prospective : émotionnels, quand la peur de mourir ou de voir mourir des espèces est provoquée ; anxieux quand les perspectives d’avenir s’annoncent sombres ; angoissant quand ces perspectives affectent des états d’être existentiels : angoisse de finitude ou de solitude. Nous préciserons ces éléments et comment y faire face avec Loïc Steffan dans un ouvrage en préparation à paraitre courant 2020 aux éditions Desclée de Brouwer.

Pierre-Eric SUTTER

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